~ lust for life (emma)

Then I guess she had to crash
Valium would have helped that dash
She said, hey babe, take a walk on the wild side
I said, hey honey, take a walk on the wild side.
© mslilyjames/lyrics by lou reed.

Tu prends une profonde inspiration. Tu t'ennuies fermement. Tu ne te sens pas à ton aise. Et pourtant, tu t'efforces de faire ce que ta mère te répète de faire : te tenir droite sur ta chaise, être polie et manger avec la bonne fourchette. Tu as horreur des dîners organisés par tes parents. Ils sont souvent l'occasion de te présenter leurs innombrables amis de Cambridge, quand il ne s'agit pas de fils de bonne famille destinés à te remettre sur le droit chemin. A les attendre, tu as deux options : intégrer l'administration de Cambridge, ou bien épouser un homme influent et élever vos enfants. Tu as l'impression que c'est dans cette optique que tu es ici, ce soir, à leur table. « Alors, William, parlez-nous de votre dernier voyage, » entends-tu alors de la bouche de ta mère. Tu te retiens de soupirer, baissant les yeux sur ta salade. Tu sens l'ennui mortel pointer le bout de son nez. Tu te demandes même si tu vas supporter, encore une fois, d'entendre les péripéties d'éternelles négociations au cœur d'un voyage d'affaires. « Et bien, comme vous le savez, je suis allé à Melbourne le mois dernier. C'était juste ... dingue. On logeait dans Fitzroy, un quartier extraordinaire. Le genre d'endroit où vous bougez à pied ou en tram', avec ce côté bohème. Le matin, on bossait, mais on avait le reste du temps pour nous ... » Tu relèves la tête, pour le couper d'un revers de la main. « En clair, vous étiez là pour consommer, non ? » Ton ton est sec, tranchant. Tu sens le regard lourd de désapprobation de ta mère. Elle te fusille du regard, mais tu t'en fiches. Tu perçois un sourire chez ce dénommé William, tu ne comprends pas vraiment pourquoi. « J'ai certainement plus découvert au cours de ce séjour que vous ne l'avez fait de votre vie, Emma. Si je peux me permettre, » te répond t-il avec un éclat de rire. Tu ressens comme une pointe de colère chez toi. Et en même temps, de curiosité. Parce que, jamais, ça n'est arrivé. D'ordinaire, on ignore, on excuse tes remarques. Et lui, il va droit au but. Il te répond, face à face. Tu te surprends à sourire. « Vous croyez ? Dîtes m'en plus, je vous en prie. » Te voici bien étrange, à lui donner du je vous en prie. D'ailleurs, tu n'as pas cessé de le vouvoyer, ce qui ne te ressemble pas. Tu peux voir un sourire plaqué sur ses lèvres. Il a l'air amusé. « La plus grande découverte, ce sont les gens, Emma. Ce sont eux, plus que n'importe quel livre, qui vous feront découvrir un endroit. Vous est-il déjà arrivé, de vous assoir à la terrasse d'un café, de vous imprégner de l'atmosphère qui y règne, de parler à ceux qui vous entourent ? J'entends par-là les gens du coin, et non les touristes. » Tu secoues la tête, impatiente d'entendre ce qu'il a à te dire. Parce que, cette façon de voir le monde, ça te fait rêver. Alors, tu te sens comme transportée, à mesure que tu l'entends parler des cafés, des galeries d'art, de musique new wave, de l'air marin, et surtout, des gens. Des choses que tu ne connais pas, ne connaissant du monde que ses hôtels et ses V.I.P. rooms. (...) « Emma ? » Tu sursautes, relevant la tête. Tu es assise, pieds nus, sur le rebord de la fenêtre, cigarette à la main. Tu croyais échapper à tout le monde, ici. Il s'avère que non. « Qu'est ce que vous voulez ? Laissez-moi deviner, ma mère vous envoie ? » Tu tires une bouffée de ta cigarette. A tous les coups, il est là pour t'espionner. Oui, ce doit être cela. Alors, il te prend ta cigarette des mains, pour tirer dessus à son tour, et te la remettre exactement entre l'index et le majeur. « Tu es toujours aussi charmante ? » entends-tu dire, provoquant un éclat de rire chez toi. Tu hausses les épaules. Bon sang, tu hais cette maison. Tu as tellement l'impression de ne pas être chez toi. « Seulement lorsque mes parents me présentent l'un de leurs amis, » réponds-tu. Tu quittes la vitre des yeux, pour le regarder en face. Tu remarques alors ce regard, profond, marqué. Tu y décèles quelque chose, tu ne sais pas quoi. Probablement la même chose qui a fait que tu es restée accrochée à ses mots durant tout le dîner. « Je vois, » finit-il par dire. Tu soupires, lançant : « Comment ça, je vois ? » Tu te sens presque indignée. Comment peut-il se permettre de te juger, alors qu'il ne te connaît même pas ? Tu t'es trompée, il est comme tous les autres. « Tu n'es pas celle que tu prétends être, j'en suis certain. » Cette fois, tu te relèves brusquement, ramassant tes escarpins. Tu tournes les talons. D'ailleurs, il devrait s'estimer heureux que tu ne lui aies pas envoyé une de tes chaussures dans la figure. « Tu peux être furieuse, mais je finirai par découvrir ce qui se cache derrière les fringues, Emma Jenner ! » entends-tu s'exclamer, derrière toi.