appareils amoureux

« t'es complètement folle » - elle souffle, son accent chantant déforme les mots. Elle vient du sud, Marcy, de Nashville. Elle rêve de devenir guitariste, la seule chose qu'elle sache gratter, frotter, c'est le sol, celui du boui-boui du quartier low cost dans lequel elle s'est installée. « laisse-moi faire » - claque Io, attifée comme la dernière des salopes, serrée dans sa robe fourreau fuchsia, sur le point d'explosée. Ses talons frappent le bitume à rythme régulier. Elle décime les mètres, Io, suivie de près par sa copine qui halète déjà. Prendre le bus pour débarquer dans un coin aussi huppé, pas classe, plutôt cheap. C'est donc pour cette raison qu'elles sont descendues deux stations avant l'arrêt. Elle est gonflée à bloc et particulièrement enthousiasmée par les rangs de bagnoles de luxe qui se succèdent devant la bâtisse. Ses prunelles affichent des dollars, des dollars à foison, ses prunelles – et elle – tombent en pâmoison. Est-ce le Paradis ou ? « ralentis, Io, j'ai déjà une cloque ». Rien à fiche, elle pense, elle a des pansements dans sa pochette, elle lui en filera bien un mais  après avoir bu la première coupe. Pas le temps. Le temps c'est de l'argent qui se tire par les fenêtres. « Prends ton mal en patience, Marcy-jolie, c'est pas le moment de lâcher prise, on y est presque ».  Io, elle a quitté Dellwood dans le seul but de réussir dans la musique. Tout ce qu'elle réussit, c'est la misère. Elle nage en plein dedans. Elle sait, au fond mais, Io, elle préfère le déni. Le déni, c'est agréable, ça fait moins mal. « Regarde-moi ça, ça, c'est une Bugatti, chérie. Ce soir, j'repars avec l'proprio d'ce bijou ». Bugatti. Rien que la prononciation de ce nom la rend complètement débile, les étoiles se succèdent dans ses yeux, dans sa tête, s'étendent et se la jouent voie lactée crée pour elle. Un sourire prend forme sur ses lèvres teintées « nude ». « T'oserais pas » lâche Marcy, passant une main dans ses cheveux ruinés au peroxyde. «  Ne me mets même pas au défi, Marcy, tu sais que je réagis mal aux défis ». elle passe vite en mode bitch de compétition. Championne dans le genre. «  C'est quoi le programme ? ». Elle lève les yeux au ciel. Par tous les saints, franchement. Marcy, elle est peut-être vraiment blonde. Elle la fixe, Io, avec incrédulité. Pas de racines, note à elle même : vérifier, la prochaine fois qu'elle ira prendre une douche. « Contente-toi de me suivre », Io, elle avance, elle se plante devant le voiturier, trop occupé à se curer le nez pour la voir arriver. « Salut, mon mignon » - la grimace qui lui écrabouille les traits a l'air de penser tout le contraire. « Mam' » - seigneur - « Mademoiselle » elle corrige, incisive. « Je me demande juste à qui appartient la  Bugatti garée juste à côté de la Lamborghini de mon fiancé » - elle papillonne, son smockey eyes est parfait, il lui a coûté un tube de mascara. « Je ne suis pas censé partager ce genre d'informations » - évidemment, elle pense, évidemment. Il faut toujours sortir l'artillerie lourde, surtout avec les plus moches. « Marcy-jolie » elle beugle, ne perdant pas l'attitude mielleuse, toutefois, perdant patience. Marcy réagit à retardement, elle s’esclaffe, baragouine un désolé, range son i-phone dans sa pochette et vient se planter face au voiturier. Non sans remonter sa belle paire d'airbags – pour rester dans le registre bagnole-. Devinez qui change instantanément de fusil d'épaule. « Un certain Barrett ». Le courant passe, visiblement. Marcy a un point sensible pour les moches. Tous ses ex sont des « moches ». Et vous voulez savoir ? C'est pas parce qu'ils sont moches que ça les rend particulièrement fidèles. Faut pas croire les croyances populaires. Pas celle-là, en tout cas. Ni celle qui dit que plus les pieds sont grands, plus l'engin est long. Désolé de briser du rêve. Io, elle en brise du rêve, tous les jours, au petit déjeuner. « Bien, bien, je vous laisse discutailler » - elle s'esquive , elle arrive. Se plante à l'entrée, embrasse la foule du regard. Du beau monde. Ça brille de partout. C'est le faste, le clinquant. C'est tellement parfait. « Mademoiselle » - elle détourne le regard pour le poser sur le serveur qui lui sourit de ce sourire qui a l'air de lui dire : tu ne bernes personne, cendrillon. Elle chope une flûte et condescendante au possible l'envoie balader. « prends ton plateau et tire-toi ». Il pouffe, amusé, lui balance un clin d’œil et poursuit sa lancée. Connard, elle pense. Barrett, à nous deux.  Le lendemain, c'est pas dans les draps du détenteur de la Bugatti qu'elle se réveille mais dans ceux de ce foutu serveur. Mais ça, c'est une histoire qu'elle n'est pas prête à vous raconter.